Pratiquer l’Urbex, c’est un peu comme se constituer une collection. Chaque lieu devient doucement une idée fixe qui tourne à l’obsession jusqu’au moment où on en foule le sol pour repartir avec les précieux clichés à ajouter à notre galerie. Vu sous cet angle, nous avons un point commun avec le dernier habitant de ce château qui collectionnait, lui, les animaux empaillés et en particulier les oiseaux.
Certaines obsessions pourtant, prennent du temps à se concrétiser. C’est le cas pour ce Château du Collectionneur qui était sur notre carte depuis près de 3 ans mais que nous n’avions jamais trouvé l’occasion de visiter. Puis enfin, un chaud après-midi d’été, le moment était arrivé de l’ajouter à notre collection. La journée avait pourtant déjà été chargée : levés de très bonne heure, nous avions visité 4 lieux et étions impatients de prendre une douche et de souffler un peu. C’était sans compter sur ce château qui allait nous retenir encore un bon moment.
Notre arrivée en rase campagne est discrète, malgré les chiens d’une ferme toute proche qui aboient comme s’ils avaient flairé nos intentions. Au final, ils aboieront durant la quasi-totalité de notre visite, perdant ainsi leur rôle d’alarme. Après nous être frayés un passage dans les ronces, nous débouchons sur le terrain, croisons la chapelle et nous retrouvons face au château qui se dresse toujours majestueux malgré le lierre et la rouille qui le dévorent.
Connu dans le monde de l’Urbex pour sa vitrine remplie d’oiseaux empaillés de toutes sortes et de toutes tailles, c’est avec une énorme déception que nous découvrons que les spécimens se sont presque tous envolés. Récupérés par le propriétaire ou volés ? Même si la seconde possibilité semble la plus probable, nous n’en connaîtrons jamais le fin mot. Heureusement quelques échassiers, certainement les plus difficiles à emporter, répondent encore à l’appel.
Cigogne, hérons et condor sont encore juchés sur leur piédestal, prenant la poussière et les toiles d’araignées depuis sans doute plusieurs décennies. On s’interroge toujours sur cette collection, laissée à l’abandon malgré sa valeur certaine, négligée par les héritiers, malgré les années de patience qui auront été nécessaires pour la constituer.
Couvrant le plancher au pied du billard, des dizaines d’étiquettes sans doute attachées autrefois aux pattes des spécimens disparus, attestent encore de leur envol précipité.
Au-dehors on entend toujours les chiens au loin et, même si nous sommes certains d’avoir été discrets, leurs aboiements rendent notre exploration anxiogène. Ou alors, est-ce le condor menaçant aux ailes déployées, semblant jouer le rôle de chien de garde, qui nous impressionne ? Nous terminons le shooting de la salle du billard avant de passer à la suite.
Et dans la pièce voisine justement, il y a cette cheminée en marbre à côté de laquelle trône encore un vieux piano droit et quelques partitions. C’est une architecture que nous rencontrons régulièrement car bon nombre des châteaux abandonnés datent du XIXe siècle. Ici, le château et la chapelle auraient été construits en 1856 par Henri d. l. G., mais certaines parties, dont les communs dateraient, eux, du XVIIe.
Dernière pièce du rez-de-chaussée, la cuisine est un véritable voyage dans le temps. Des ustensiles pendus au vieux fourneau rouillé, des carrelages géométriques aux murs brunis, il semble qu’ici les horloges se soient arrêtées au milieu du siècle dernier pour laisser cette image, pareille à une pièce de musée.
L’escalier en bois craque sous nos pas. Ça paraît anodin, mais en pleine exploration, ce genre de bruit paraît décuplé et nous marchons alors sur la pointe des pieds, comme des enfants qui préparent un mauvais coup. Malgré sa relative étroitesse et le lustre disparu, la cage d’escalier garde une certaine prestance, sans doute grâce au papier peint aux motifs bourgeois qui réchauffent l’atmosphère.
L’étage est desservi par un long couloir côté fenêtres qui distribue à gauche les différentes chambres. Nous entrons dans la chambre parentale dotée de belles dimensions et aménagée en miroir avec deux lits jumeaux à baldaquins de part et d’autre. On sourit un peu en songeant à la pudeur d’autrefois… Au-dessus de la cheminée, les décorations peintes et le miroir ont disparus mais la pièce est toujours belle, bercée par une lumière chaude.
Véritable pépite de ce lieu, cette seconde chambre au lit à baldaquins ressemblant à une bonbonnière. Le rose omniprésent, des draperies à la tapisserie donnent à la pièce une allure de pouponnière encore renforcée par le petit berceau blanc et le cheval en bois. Seule la moisissure noire qui gangrène les murs vient obscurcir cette ambiance marshmallow.
L’une des questions qui revient le plus souvent lorsqu’on évoque notre passion pour l’urbex est « est-ce que vous avez déjà vu des choses paranormales ? ». En plus de 200 lieux explorés, la réponse globale est « non. ». Pas l’ombre d’une apparition. Pourtant, dans cette chambre, meublée juste d’un berceau blanc et d’un poêle, un petit quelque chose d’inhabituel nous hérissa les poils et nous pressa à partir… Avant de refermer la porte, on adressera un aimable « Votre maison est très belle. », simple précaution !
On ne nous embêtera plus par la suite, même si une sensation oppressante perdurera jusqu’à la fin de la visite. Nous terminerons le premier étage par ces deux chambres – dont l’une minuscule, ne permettant presque pas de circuler autour du lit – toutes deux décorées de tapisseries représentant des oiseaux. La passion des anciens propriétaires allait-elle jusque-là ou n’est qu’un heureux hasard ?
Nous gravirons encore les escaliers menant sous les combles pour ne trouver généralement qu’un grenier encombré de multiples objets. Seule cette chambre de bonne nous retiendra plus longtemps avec son petit lit en bois un peu austère et sa statue de Sainte Vierge dépourvue de mains. Dehors, les chiens semblent s’être calmés. Pas de chance, il va bientôt falloir ressortir !
De retour au grand air, nous prenons encore le temps d’admirer la superbe façade de la demeure. Nos recherches pour reconstituer le puzzle de son histoire n’auront pas été très payantes. Dans l’une des chambres, nous avons retrouvé la correspondance d’une jeune fille née en 1900 et qui a vécu là jusqu’à son mariage en 1938. Elle est décédée en 1983, mettant fin à la lignée de sa famille puisque ni elle ni ses 3 frères et sœurs n’ont eu de descendance. Est-elle restée propriétaire du château jusqu’à la fin ? Est-ce sa mort qui a plongé le lieu dans l’oubli ? Les pièces de l’histoire en tout cas, semblent concorder.
Alors que nous retraversons la forêt de ronces, épuisés par cette journée d’exploration, nous sourions malgré tout, heureux de pouvoir ajouter ce bijou oublié à la galerie de nos exploits où il trônera en bonne place, tel le condor sur sa vitrine.
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