Pour la majorité des gens, les vacances sont synonymes de repos, de détente et d’évasion au grand air, si possible sous le soleil pour « recharger les batteries ». L’urbexeur, pour sa part, passe ses congés dans l’obscurité de lieux clos, sales et souvent malodorants, assailli de nuées de moustiques affamés et trop heureux de voir quelqu’un s’aventurer sur leur territoire. Le tout pour une drôle de passion, un hobby chronophage, voire parfois une folie. Mais c’est là le prix à payer pour découvrir des endroits surprenants, tels que cette Villa Meteora dissimulée à l’abri des regards mais pourfendue sur toute sa hauteur par un trou béant.

Un graal qui se mérite… Pour y accéder en toute discrétion, il faut se lever un peu avant 5h du matin et commencer la journée par un peu d’exercice en escaladant le mur d’enceinte. Vous avez dit vacances ? Une fois caché au cœur de l’immense propriété pourtant située en pleine ville, il n’y a plus qu’à attendre le lever du soleil face au vitrail de la grande cage d’escalier. On vous rassure, on a fait tous ces efforts et pris tous les risques à votre place, vous n’avez plus qu’à vous installer confortablement et à suivre la visite !

Après 45 minutes passées à faire le repérage des pièces à photographier en attendant que la lumière ne réveille la villa, nous posons enfin notre trépied dans la première pièce du rez-de-chaussée. Par les fenêtres aux volets brinquebalants, le jour perce peu à peu et révèle l’éclat rouge vif de l’immense salon. Au fur et à mesure que l’ombre recule, nous découvrons les auréoles créées par l’humidité qui forme de curieux dégradés de couleur.


Coiffé d’un plafond richement orné et peint d’une fresque monumentale, ce salon est également décoré de quelques meubles laissés là par les propriétaires : deux longs bancs rouge vif de part et d’autre, une console dorée surmontée d’un miroir, un piano droit et une petite table entourée de quatre chaises, trop petites pour l’immensité de la pièce. On imagine qu’autrefois trônait une grande table accueillant les dîners mondains donnés par la famille d’industriels qui a occupé les lieux durant la majeure partie du 20e siècle.

De l’autre côté du couloir, nous arrivons sur ce petit salon aux tons bleus et dont le plafond est presque totalement effondré, résultant en un monceau de gravats à l’endroit où devait jadis se tenir une table basse. Les fauteuils et la commode surmontée d’un miroir sont en partie ensevelis. Pour arriver là, nous avons traversé d’autres pièces effondrées qui témoignent de l’état de désolation de la villa. Nous nous posons en équilibre sur les restes de poutres moisies, de tuiles et de pierres pour immortaliser la scène.

Au hasard d’une porte entrouverte, nous découvrons le bureau que devait occuper R.C., le propriétaire toujours en vie et illustre entrepreneur de la région. Les larges bibliothèques en bois sur lesquelles dégringole la tapisserie fleurie sont encore bien garnies de livres. Mais derrière le grand bureau brun, c’est surtout cet ancien projecteur qui nous attire. Objet curieux et inhabituel, il ne sera pas la seule découverte dans la maison à avoir un lien avec le monde du spectacle…

Le contraste entre ces pièces apocalyptiques et le grand hall d’entrée encore clinquant est saisissant. Les tons ternes des murs sont illuminés par le grand vitrail bordé de carreaux bleus et jaunes qui se dresse à l’entresol tel un portail vers une autre dimension. Ici aussi, le mobilier rococo affiche ses dorures pour tenter tant bien que mal de sauver les apparences.

Construite au 18e siècle par une famille de riches industriels, la villa a connu trois principales occupations. Dissimulée derrière un bâtiment religieux construit à la fin du 18e par cette même famille qui manquait de place pour enterrer ses morts, la villa est aujourd’hui presque invisible de la rue, ce qui rend sa localisation particulièrement compliquée et précieuse. La famille C. qui l’occupe en dernier lieu a notamment fait fortune dans l’industrie textile. Il semblerait que la villa n’ait jamais vraiment été leur résidence principale. Au-dessus du grand escalier, nous voilà prêts à découvrir les pièces du premier étage dans un silence monacal.


En suivant le couloir à droite, nous déambulons, tantôt en pleine lumière, tantôt dans l’obscurité presque totale jusqu’à cet endroit où le sol du couloir s’est dérobé. Mieux vaut ne pas être distrait quand on arrive à ce point. Curieux, nous jetons un œil dans les pièces voisines. En poussant une porte on découvre cette salle de bain dont le sol s’est entièrement volatilisé. Ici aussi, mieux vaut ne pas se précipiter pour entrer !

Le spectacle de désolation se poursuit dans presque toutes les pièces de l’aile gauche. Ici, cette belle chambre à coucher, probablement parentale a subi un sort similaire aux pièces précédentes. Un trou dans le plafond peint se répercute avec une symétrie presque parfaite sur le parquet en-dessous, comme si un météore avait pourfendu la villa avec une précision chirurgicale. La commode en bois à droite semble s’agripper désespérément au mur, consciente de vivre ses dernières heures.


Juste au-dessus du salon rouge vif du rez-de-chaussée, nous découvrons son parfait alter ego, peinte cette fois en jaune poussin. Le lustre brinquebalant, le plafond auréolés de taches sombres et les murs qui semblent pleurer n’augurent rien de bon pour l’avenir de ces deux pièces. On imagine qu’une infiltration est en train de gangrener le grenier et de contaminer petit-à-petit ces pièces de l’aile droite. La pièce est remplie de correspondances adressées à Cécilia et le vieux téléviseur semble vouloir nous indiquer que plus personne n’a vécu ici depuis la fin des années 1980.


Deux canapés survivent tant bien que mal aux affres du temps, leur tissu défraîchi, décousu, effiloché ont pourtant accueilli autrefois les séants de dames et d’hommes distingués. À présent, ils attendent d’être engloutis sous un amas de gravats ou de chuter lamentablement à l’étage inférieur. Il règne dans la pièce une odeur putride que nous n’avons sentie nulle part ailleurs dans la demeure et qui nous pousse à hâter la prise de vue…

Dernière pièce de l’étage, ce salon-bibliothèque juste en face de la cage d’escalier illustre bien l’état de dégradation du lieu. En l’air, la voûte est percée, laissant entrer le jour et se faufiler la végétation. Çà et là, des briques indécises menacent de tomber à tout moment. Nous parcourons les étagères avec curiosité, quelques lettres, des livres, des trophées sportifs… Il y a ici encore des souvenirs que personne n’a jugé utile de sauver.

En explorant le grenier, nous tombons nez à nez avec cette enseigne « cinéma » qui a dû un jour trôner au sommet d’une façade de la ville. Ce deuxième vestige du monde du spectacle nous interloque, car la villa n’a jamais eu aucune activité publique (contrairement à certains châteaux qui ont eu mille vies et ont été utilisés un temps en hospice, salle de fêtes ou colonie de vacances). Rien ne rattache non plus la famille C. au spectacle, mais on sait que le patriarche avait des activités annexes, notamment au Rotary club.

Restant sur ce mystère, somme toute très photogénique, nous redescendons et mettons les voiles, non sans jeter un dernier coup d’œil à ces plafonds percés par une pluie de météorites imaginaires.
Avant de repartir, nous nous posons un instant dans le jardin où du mobilier en fer forgé émerge entre des touffes de mauvaises herbes. Le calme est hallucinant. Jamais on ne s’imaginerait en pleine ville. La paix que nous ressentons malgré notre statut d’intrus est rare en urbex, alors durant quelques minutes, nous restons là, assis sur ce banc à savourer la douceur du matin en admirant la belle façade arrière de la villa que la végétation colonise en son sommet. Aucun bruit ne trouble notre méditation et c’est si savoureux que le sourire nous vient.
En repassant le mur dans le sens inverse, il s’accroche toujours à nos lèvres. Nous déboulons dans la rue sans être vus par personne. Le pas hâtif, nous nous remettons en route, contournant toute la propriété qui ne laisse rien voir de la villa. Secrète, elle demeure, comme notre exploration passée inaperçue. Et dans nos yeux le sourire se prolonge, les faisant briller de dizaines de minuscules météores…
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