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Photo du rédacteurSilent Explorers

Manoir de Cristal

Dernière mise à jour : 27 juil. 2023

Nos explorations nous plongent souvent au cœur de la fragilité. Celle des lieux que nous visitons évidemment, faits de pierres, de ciment, de bois ou de verre et que le temps et l’humidité rendent vulnérables, mais aussi celle de nos existences. L’équilibre que nous prenons pour acquis a pourtant bien une date d’expiration et tout ce qui constituait notre quotidien peut chavirer à la suite d’un événement malheureux. Le Manoir de Cristal que nous vous invitons à visiter dans cet article n’a sans doute pas vu arriver les événements dont les conséquences menacent aujourd’hui de le briser à jamais.


Nous arrivons sur les lieux en plein milieu d’après-midi. La route qui borde la propriété est très passante, mais une fois que nous nous sommes faufilés à travers la muraille de végétation, un calme absolu nous envahit. La bâtisse se dresse devant nous : majestueuse malgré les fenêtres brisées et les rideaux qui volent au-dehors. Nous gravissons l’escalier et franchissons le seuil, grisés par l’odeur caractéristique des lieux abandonnés qui nous happe.

Le couloir qui mène à gauche à une chambre à coucher et à droite vers une salle à manger et un salon est complètement encombré. Tout au fond, la cage d'escalier qui s'élève en spirale vers les étages supérieurs est noyée sous un flot de cartons, de mobilier et d'appareils électroménagers. Nous survolons rapidement le rez-de-chaussée pour décider ce qui vaut la peine d'être photographié. Nous arrivons très vite à un constat: nous allons y passer du temps! Les pièces ont beaucoup de charmes et foisonnent d'objets et de détails qui méritent d'être immortalisés.

Le salon est la première surprise de la visite : nous imaginions une maison en meilleur état mais nous constatons qu’un dégât des eaux considérable a provoqué un mini-éboulement dans une des deux bibliothèques qui se dressent en symétrie de part et d’autre de la cheminée. Celle de droite penche dangereusement, risquant de s’effondrer à tout moment. Durant notre visite nous entendrons d’ailleurs régulièrement du mouvement à cet endroit, sans doute provoqué par des chutes de gravats.

Autrefois fièrement dressée et présentant ses rayonnages méticuleusement alignés – comme c’est toujours le cas dans celle de gauche -, la bibliothèque vomit aujourd’hui des ouvrages humides et piqués de moisissure, rendus illisibles. À y regarder de plus près, il nous semble voir des racines courir à travers le béton effrité. Au mur, même le portrait d’une aïeule de la famille n’a pas résisté à l’attaque des champignons qui noircissent la tapisserie. Chacun de nos pas sur le plancher fait légèrement trembler l’armoire encastrée en équilibre précaire. Nous redoublons donc de précautions et nous déplaçons en glissant presque – ce qui n’est pas chose facile avec les chaussures que nous portons pour nos expéditions urbex !

En opérant un demi-tour sur nous-mêmes, nous nous retrouvons face à l’autre côté de ce séjour: un joli piano et son banc rembourré que le temps semble ne pas avoir altérés, hormis la pellicule de poussière et de plâtre qui les blanchissent. Ici, les photos et souvenirs de famille fleurissent, mémoire du temps passé, à l’époque où la bâtisse débordait de vie. Parmi les clichés en noir et blanc et les reproductions d’ancêtres, certaines photos en couleur, plus modernes, nous font sourciller. Il est toujours plus difficile pour nous d’être confrontés à un passé pas si lointain que ça. C’est vraisemblablement le cas ici avec quelques photos de famille datant environs du début des années 90.

Nous n’aurons pas trop de mal à trouver quelques informations sur la famille grâce aux nombreuses lettres et courriers laissés là. Nous en retiendrons principalement un chef de famille né à la fin du XIXe siècle, décoré de la Légion d’Honneur, et décédé au milieu des années 1980. Deux filles semblent avoir vécu dans la bâtisse toute leur vie avant l’abandon du manoir au début des années 2010. Nous n’en savons pas plus sur les raisons ni sur l’histoire de la famille et ; volontairement, afin de conserver une certaine distance, nous avons décidé ici de ne pas chercher à en savoir davantage. Immortaliser ce lieu nous semble déjà largement suffisant.

Du côté salle à manger, la table ronde en bois qui accueillait auparavant les repas familiaux se tient toujours devant cette belle cheminée, surmontée d’un grand miroir. Les meubles ici sont en bois massif, à l’image du reste de la demeure. Nous retrouvons même les vitrines encastrées similaires aux deux bibliothèques du salon. D’ici, la fenêtre ouverte donne directement sur le jardin d’un voisin qui, à ce moment-là, a choisi de tondre sa pelouse et se trouve littéralement à une dizaine de mètres de nous. Nous évitons soigneusement de nous faire voir et continuons d’avancer vers ce que nous considérons comme la pièce magistrale de cette demeure : le jardin d’hiver.

En descendant l’escalier à l’extrémité de la salle à manger, nous arrivons dans une immense cuisine aménagée dans ce qui semble être une extension du manoir d’origine. Dotée d’une belle hauteur sous plafond, la pièce est entièrement peinte en blanc et profite d’une lumière importante grâce à la baie vitrée à croisillons. Malheureusement, croulant sous une quantité de boîtes en cartons et de vieux journaux et papiers divers, la cuisine est impossible à photographier. Nous nous concentrons donc sur la partie de droite, constituée par le jardin d’hiver au centre duquel une petite table ronde est disposée.

Nous imaginons sans peine que cette pièce, de par sa lumière naturelle et la chaleur qu’elle dégage, devait être un centre névralgique de la demeure. Le mobilier atteste d’ailleurs que les propriétaires devaient s’y adonner à de nombreuses occupations. Ici une machine à coudre et un mannequin pour profiter pleinement de la vue sur le jardin et de la luminosité. Là, un fauteuil confortable pour s’installer et lire à côté de l’horloge dont le mécanisme a aujourd’hui disparu.

Sans oublier évidemment la table qui devait accueillir de nombreuses activités, allant d’un goûter par un bel après-midi d’automne à une grille de mot-croisés noircie en sirotant un café. L’esprit est libre d’imaginer tout ce qu’il souhaite. L’endroit, en tout cas se veut serein et cosy. C’est ce jardin d’hiver principalement qui nous a attiré dans cette exploration et nous étions loin d’imaginer que d’autres belles surprises nous attendaient.

Nous délaissons le rez-de-chaussée pour aller explorer l’étage. Là, nous arrivons dans une chambre savamment mise en scène mais qui dégage malgré tout un charme fou. L’écran de la télé est, comme le piano, recouvert d’une pellicule de plâtre. Dans la cheminée, on voit distinctement les gravats s’accumuler en un monceau alertant de l’état de dégradation de la structure du bâtiment. Détail interpellant : sur la cheminée, une gravure en noir et blanc représente le portrait d’un pope de l’église orthodoxe.

Au bout d’un petit couloir sombre, nous arrivons à une porte fermée à clé. Des casseurs ont cependant eu la délicatesse de trouer la partie inférieure de la porte. Nous nous y glissons et débouchons dans une petite pièce où se trouvent de nouveau une table à manger, une chaise haute pour enfant et une petite cuisine attenante. Cette pièce nous surprend, d’autant plus compte tenu de l’immense cuisine qui se trouve au rez-de-chaussée. D’après nous, celle-ci servait d’espace privé à l’une des filles qui ont vécu toute leur vie avec leurs parents, permettant un peu d’indépendance lorsque cela était souhaité.

Nous voici arrivés dans la dernière chambre du premier étage. Nous sommes juste au-dessus du salon et de sa bibliothèque instable et nous retrouvons aux premières loges de ce qui provoque cet état de décrépitude. Ici aussi, le plafond est percé par l’humidité et nous pouvons cette fois voir distinctement de grosses racines serpenter à travers la pierre et le ciment. Une fois terminée la visite, nous irons voir à l’extérieur sur le pan latéral du bâtiment pour en avoir le cœur net : un arbre d’une certaine taille déjà, pousse tranquillement en altitude, planté dans le mur du manoir.

Malgré la brutalité du déclin de ce lieu, il se dégage de toutes les pièces et de ces chambres en particulier, une certaine douceur résolument féminine. Cette impression étaye encore un peu plus notre sentiment selon lequel les deux filles du couple ont dû finir leur vie ici, laissant à jamais leur empreinte sur le lieu.

Dernière pièce, dernière photo, dernière jolie surprise de ce Manoir de Cristal : le grenier. Illuminé par cette lucarne ovale, il foisonne d’objets attendant depuis des années de recevoir une nouvelle vie ou de prendre la direction des encombrants. Derrière une porte, coincée dans un passage étriqué, nous trouverons une étagère croulant presque littéralement sous les pots de confiture maison. Impossible à photographier en raison du manque d’espace, cette vue nous marquera – nous touchera même -, méritant par conséquent d’être mentionnée ici.


En sortant du manoir par là où nous étions entrés près de 2 heures plus tôt, nous tomberons nez-à-nez avec un chaton qui déguerpira à notre vue pour aller se terrer loin du danger que nous représentons pour lui. Quelques minutes plus tard, c’est nous qui nous terrions dans les buissons, en attendant que des voitures stationnées devant notre point d’accès ne nous laissent la voie libre. Un dernier coup d’œil à cette bâtisse à l’air robuste de l’extérieur mais qui recèle en elle de nombreuses failles la mettant en péril, comme autant de fissures dans le verre de son jardin d’hiver.



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