top of page
Rechercher

Soviet Riviera

  • Photo du rédacteur: Silent Explorers
    Silent Explorers
  • 5 oct.
  • 6 min de lecture

À quoi ressemble l’Eldorado pour un urbexeur ? Si les réponses peuvent varier, Tskaltubo est certainement l'un des lieux qui s’en approchent le plus. Imaginez : une ville thermale florissante sortie de terre au cours du XXe siècle qui connaît sa gloire en pleine période soviétique et s’effondre avec elle. Le résultat : des dizaines d’infrastructures néoclassiques laissées à l’abandon, offrant autant d’opportunités d’immortaliser le temps figé, un passé glorieux aujourd’hui lointain souvenir. Suivez-nous dans cette journée marathon d’exploration.

ree

Après une semaine passée à explorer les merveilles de la Géorgie, notre voyage touche à sa fin mais il nous reste une étape considérable sur notre route : la ville aux trente sanatoriums dont une grande partie est abandonnée depuis les années 1990. Nous arrivons à Tskaltubo en fin de journée, la lumière fond à vue d’œil sur la ville, mais nous ne pouvons pas résister à tenter une première visite. De notre voiture qui file à travers les larges artères, nous repérons un bâtiment décati qui ne figure pas sur notre plan de route du lendemain. Ce sera notre première expérience…

ree

Un escalier envahi par les mauvaises herbes mène à une haute façade un peu lugubre parée de colonnes. Construit en 1954, le sanatorium Rkinigzeli de 350 lits était spécialisé dans les maladies cardiaques. Nous admirons le hall austère mais très géométrique avec ses colonnes carrées avant de nous aventurer dans les étages. Les pièces n’ont pas un grand intérêt, mais surtout, nous nous heurtons à la réalité de ces sites « abandonnés » lorsque nous croisons une femme dans un couloir insalubre, les bras alourdis de sacs de courses. Elle nous regarde puis rentre dans cette ancienne chambre qui lui sert aujourd’hui d’appartement, comme à de nombreux réfugiés. Nous reviendrons là-dessus plus tard. La lumière déclinant de plus en plus, nous décidons d’en rester là pour ce soir et d’aller nous reposer avant notre grosse journée du lendemain.   

ree
ree
ree

La nuit a été courte et troublée. Au petit matin, nous sommes sur le pont, prêts à partir à l’assaut du Sanatorium Iveria, l’un des plus beaux. Après un arrêt pour nourrir et cajoler une chienne affamée – dont la Géorgie regorge hélas, à tel point que nous avons pris l’habitude de commander trop de nourriture au restaurant pour emporter les restes avec nous et faire la distribution au gré des rencontres – nous arrivons devant les hauts murs du sanatorium. Certains bâtiments de la ville sont encore gardiennés en vue d’être prochainement restaurés, la discrétion et la prudence s’imposent donc. En quelques secondes nous sommes intro muros et découvrons le hall percé d’un trou comme un abysse et l’escalier bleu très géométrique dont nous rêvions.

ree

ree

Au hasard d’une porte poussée, nous découvrons des chambres lentement reconquises par la végétation baignant dans la lumière chaude du matin. Construit en 1962, Iveria comptait 300 lits ainsi qu’un théâtre. D’après les informations que nous avons pu trouver, le site a été racheté en 2017 en vue d’être rénové. En 2024, un an après notre passage, des barrières empêchaient de franchir le mur d’enceinte.

ree

Pour comprendre le faste et le rapide déclin de ces lieux, il faut se replonger dans l'histoire. La Géorgie est absorbée par l’Union soviétique en 1921 et restera sous son joug jusqu’à son indépendance en 1991. Durant cette période, l’état garantit à ses travailleurs deux semaines de repos dans des centres thermaux construits spécialement pour eux. Tskaltubo fait partie de ce programme mais constitue surtout la « Riviera russe », reliée quotidiennement à Moscou par des trains directs dans les années 1980, permettant à l'élite de venir se baigner dans les eaux riches en carbonate de radon. Staline, lui-même, avait ses habitudes dans la station balnéaire.

ree

La chute de l’Empire soviétique et l’indépendance de la Géorgie coupent subitement le robinet de tourisme dont jouissait jusqu’alors les stations thermales de la nouvelle République. Les nombreux sanatoriums connaissent alors un déclin rapide. Construits trop grands et fastueux, ils sont contraints à la fermeture, plongeant la ville dans une misère dramatique.

ree
ree
ree

Nous finissons notre exploration d’Iveria en un peu moins de deux heures et mettons le cap sur Imereti. Reconnaissable à son grand escalier double et à ses trois hautes fenêtres, ce sanatorium a été construit au cours des années 50 pour ouvrir en 1961. Il s’agit de l’un des plus grands de la ville avec un capacité de 450 personnes.

ree

Dès notre arrivée sur le terrain, nous avions repéré une voiture remplie de gardes arrêtée devant le bâtiment. Ils discutaient sans prêter attention à nous et nous en avions profité pour nous faufiler par l’arrière du sanatorium. Mais une fois à l’intérieur, occupés à photographier, nous entendons des bruits de pas et apercevons une lumière allumée au bout du couloir, signe sans doute que le garde apris ses fonctions. Nous décidons donc de n’explorer que la partie gauche pour éviter tout problème.

ree
ree

Nous tombons sur cette rotonde, qui servait autrefois d’auditorium, soutenue par un cercle de colonnes arquées. Les chapiteaux des colonnes finement ciselés ne sont aujourd’hui plus suffisants pour détourner l’attention des nombreuses taches sombres qui gangrènent la coupole.  

ree

ree

L’état de l’aile gauche est bien plus dégradé et nous marchons parfois sur une épaisse couche spongieuse qui forme un terreau pour les plantes les plus résilientes. Le contraste avec les jolis garde-corps sculptés est saisissant et nous évoque ces scènes post-apocalyptiques que nous aimons dans l’urbex. Afin de ne pas attirer l’attention du garde, nous décidons de nous arrêter là et de changer de crèmerie.

ree
ree

ree

Notre prochaine étape ne consiste qu’en un couloir. Mais quel couloir ! Situé sur un grand complexe anciennement utilisé par le Ministère de la Défense soviétique, ce sanatorium a été partiellement restauré en hôtel 4 étoiles. Nous nous faufilons donc en catimini par les jardins pour atteindre l’aile qui a été laissée dans son jus. Escortés par des chiens errants, nous trouvons rapidement l’allée bordée de fenêtres arquées. En la remontant, au milieu des feuilles mortes et du lierre en cascade, nous avons vraiment l’impression de faire un voyage temporel et d’emprunter la voie des songes.

ree
ree

Après cet arrêt rapide, nous nous rendons au Sanatorium Medea, certainement le plus emblématique et majestueux de Tskaltubo. Sa forêt de hautes colonnes et d’arcs incurvés en font non seulement un lieu prisé des urbexeurs, mais aussi des touristes qui visitent la Géorgie et des jeunes mariés qui viennent y prendre la pose. Il faut donc composer avec cela en arrivant sur place, et c’est un peu une déconvenue pour les explorateurs comme nous qui sont par essence un peu asociaux. Heureusement, à notre arrivée, un tour privé de touristes quitte les lieux et nous laisse la voie presque libre.

ree
ree
ree

Presque, car Medea (anciennement Tsekavshiri) est à l’heure de notre visite, toujours partiellement occupé. En effet, peu après l’indépendance de la Géorgie, une guerre s’engage avec la Russie pour l’Abkhazie, une région historiquement géorgienne mais où vit une large communauté russophone. Il en résulte un exode massif de Géorgiens qui fuient le conflit et les exactions. Ces réfugiés nationaux seront temporairement relogés dans les sanatoriums inoccupés. Des habitats fastueux dans un premier temps mais qui tomberont en ruine avec leurs occupants. Avec la crise économique qui secoue le pays, les bâtiments sont pillés et saccagés. Les résidents ne peuvent compter que sur leur débrouillardise pour tirer l'électricité ou transformer un balcon en cuisine de fortune. Trente ans plus tard, certains réfugiés abkhazes (on parle de 2500 familles début 2020) vivent toujours dans ces bâtiments insalubres, donnant naissance à des générations d'enfants qui n'ont jamais connu autre chose que la misère et de grands couloirs infiltrés par l'eau.

ree
ree

Notre prochaine étape est la Sanatorium Metalurgist, certainement le mieux conservé de tous. Construit en 1957, il constitue un chef-d’œuvre de l’architecture soviétique d’après-guerre. Ici, ses habitants ont compris qu’il y avait un parti à tirer de la situation et on paye un petit droit d’entrer pour pouvoir explorer les couloirs et les salles communes. Une petite dame voûtée nous accompagne un moment pour nous montrer où nous pouvons aller et les zones qui sont réservées aux résidents. Ce mélange d'exploration et de tourisme, de loisir et de misère nous met mal à l'aise et nous n'apprécierons pas du tout ce lieu pourtant sublime.

ree
ree
ree
ree
ree

Les décorations, les colonnes, l’imposant lustre, les boiseries de l’escalier et le raffinement des ferronneries permettent d’avoir encore une bonne idée du lieu tel qu’il était à l’époque. C’est par ailleurs l’un des seuls complexes a avoir été restauré juste avant la fin de l’Union soviétique, ce qui explique sans doute son état presque impeccable.   

ree
ree
ree

Juste à côté, nous franchissons la porte du Sanatorium Gelati, un complexe qui fonctionnait de pair avec le sanatorium Metalurgist jusque dans les années 1980. Ici, on traitait les maladies neurologiques et arthrologiques. Les habitants ont bloqué certains accès réservés à leur usage et nous ne nous éternisons donc pas.

ree
ree

Notre journée se termine par la visite des Bains n°8. Ce bâtiment atypique en forme d’ovni a été conçu par l’architecte géorgien Ioseb Zaalishvili et construit en 1959. Surplombée par une coupole en béton de 42 tonnes, autrefois entièrement fermée, la pièce est ponctuée de huit fleurs constituées de grappes de baignoires organisées en pétales, représentant les quatorze républiques soviétiques gravitant autour d’une source principale, la Géorgie. Reconnu héritage historique en 2021, le bâtiment est pourtant toujours utilisé comme une poubelle, le sol et les baignoires jonchés de monticules de déchets. Heureusement, la végétation qui s'y épanouit prolonge un peu la poésie du projet initial.

ree

La journée s’achève et, même si nous sommes loin d'avoir tout vu de Tskaltubo, il est temps pour nous de reprendre la route. Les longues heures d’exploration ont mis à mal nos corps et dans la voiture lancée vers Tbilissi, nous rêvons de repos et d’un bon bain relaxant. Vous avez dit ironie ?



N’hésitez pas à visiter notre page et nous suivre sur Instagram: @silent_explorers et Facebook : Silent Explorers Urbex

 
 
 

Commentaires


bottom of page