Un lieu abandonné est parfois similaire à une capsule temporelle. Une bulle née dans une autre époque, qui a miraculeusement traversé le temps sans éclater et s'est dissimulée au milieu de notre monde moderne filant à mille à l'heure. Une décoration surannée, un meuble mystérieux, un objet du quotidien hier extrêmement moderne mais aujourd'hui complètement désuet, permettent à ces demeures de nous plonger dans leur ambiance originelle. La Villa Telefonica fait partie de ces lieux magiques dont l'atmosphère anachronique nous happe dès que l'on en pousse la porte. Visite à contre-temps.
Nous arrivons au petit matin à proximité de cette magnifique villa située en Suisse, au beau milieu d'un quartier résidentiel, la discrétion est donc primordiale. Heureusement, à l'aube, le quartier est encore complètement assoupi. Une fois n'est pas coutume, nous avons rendez-vous avec un duo d'explorateur. Leur retard nous permet de prendre un peu d'avance et de faire un premier tour de reconnaissance, profitant de l'intimité du lieu.
Contournant la bâtisse pour nous mettre à l'abri des regards, nous escaladons le mur d'enceinte et traversons le jardin négligé depuis des années. La porte d'entrée est grande ouverte, nous invitant à remonter le temps.
Nous commençons la visite sans attendre. Se retrouver seul dans un lieu abandonné peut être grisant. L'excitation de la découverte, le loisir d'explorer à son rythme, de s'imprégner de l'atmosphère des lieux. Mais cela peut parfois être un peu intimidant voire effrayant, car chaque bruit, même les plus anodins, chaque ombre peut pousser notre imagination à s’emballer... Parfois, il faut bien l'admettre, cela nous arrive.
Nous arrivons dans ce salon au rez-de-chaussée assez bien préservé. Nous qui aimons les ambiances post-apocalyptiques prenons un peu peur... Il ne faudrait pas que la visite ressemble à une émission de Valérie Damidot!
Nous ignorons la date de construction de la villa mais nos recherches nous ont appris qu'elle a appartenu à F.B, exploitant agricole et personnalité politique qui y vécut de 1883 jusqu'à sa mort en 1935. Sa femme I. lui survécut jusqu'en 1965. Au meilleur de leur situation, ils exploitaient 11 fermes et employaient une dizaine de personnes pour s'occuper de la villa et de ses extérieurs. Le raffinement des vitraux et les matériaux nobles employés dans les différentes pièces donnent une bonne idée du statut social du couple.
Nous traversons le hall, encore plongé dans l'obscurité et arrivons dans ce couloir vitré, inondé par la lumière du matin. Les superbes fresques des murs font penser aux nombreuses villas que nous avons l'habitude de visiter en Italie. L'influence de cette culture sur cette partie du territoire suisse est indéniable. On imagine ici des visiteurs et gens de passage défiler pour s'entretenir avec les maîtres des lieux. Aujourd'hui, c'est nous qui l'arpentons sans être attendus de personne, à la fois impressionnés et séduits.
A mi-chemin du couloir, une porte s'ouvre sur un bureau où sont rangés des magasines relativement récents. Ici encore, le plafond est joliment décoré. A la mort de I., la villa tombe entre les mains de son neveu, résidant en Argentine et qui l'utilisera comme maison de vacances jusqu'à la fin des années 1990.
Au fond du couloir nous arrivons dans un salon d'apparat où trônent des fauteuils de style Louis Philippe. Le sol en damier donne l'illusion de cubes en reliefs qui, conjugués aux motifs des fauteuils, créent une drôle d'illusion d'optique. Une fois passé le tournis qui nous saisit, nous apprécions cette vue qui combine tout ce que nous aimons dans l'urbex: l'alliance du faste passé et du déclin actuel, prenant ici la forme des langues de tapisseries qui pendent sur les fauteuils. La pièce ouvre sur un jardin qui offre un autre accès à la villa que celui que nous avons emprunté.
Nous retournons dans le hall d'entrée que la lumière a enfin réveillé et qui se révèle sans conteste la plus belle pièce de la villa. Le soleil révèle le tapis flamboyant et a tiré de l'ombre le téléphone d'époque qui a rendu ce lieu iconique. Notre attention se porte sur le piano, curieusement placé dans ce coin étriqué sous l'escalier... On peine ici à imaginer qui que ce soit s'installer pour jouer et nous en déduisons qu'il devait être là uniquement pour impressionner les hôtes au premier coup d’œil.
Nous commençons à faire nos cadrages lorsque des bruits et des voix étouffées surgissent au-loin pour se rapprocher progressivement. Nos compagnons de route arrivent enfin: L. que nous connaissons déjà et qui partage notre souci de discrétion et R. qui murmure en nous saluant ce que nous apprécions directement. Le temps nous est compté car le programme de la journée s'annonce chargé: d'autres lieux nous attendent. Nous nous répartissons donc les pièces et partons de notre côté explorer les étages.
Bien que nous ne soyons pas invités, le tapis rouge est de sortie et nous mène jusqu'au premier étage. La villa est encore plus vaste que ce à quoi nous nous attendions à en juger par le rez-de-chaussée. L'étage se compose d'un enchainement de pièces, de chambres et des couloirs labyrinthiques où il est facile de se perdre. Impossible de tout immortaliser, et fort heureusement, toutes n'en valent pas la peine non plus.
Celle-ci en revanche nous séduit tout de suite: un bras de végétation y pénètre par l'interstice d'un volet, tentant de se réapproprier ce qui lui appartenait autrefois. Le plafond qui s'effrite laisse néanmoins entrevoir un joli motif peint, vestige de la grande époque à laquelle la villa devait être somptueuse.
Dans la pièce voisine, ce bureau où trône encore un magnifique poêle en faïence nous laisse imaginer F. s'atteler ici à la partie administrative de sa gestion agricole ou à la rédaction de sa correspondance. Si la villa a vécu encore de longues années après le décès du couple, elle semble pourtant être restée figée à l'époque de sa grandeur.
A la mort du neveu de I., la villa revient à ses quatre enfants qui décident de la vendre en 2009. C'est alors qu'elle sombre un peu plus, inoccupée, négligée, on dirait presque oubliée si elle n'était pas aussi visible au cœur de ce quartier résidentiel.
Autre pièce qui mérite que l'on s'y attarde, cette chambre dégage une atmosphère presque intimidante. Plus grande que les autres, elle est aussi dotée de plafonds moulurés et d'une salle d'eau privative. Mais aucun doute sur le fait que ce qui nous intimide, c'est ce buste en plâtre qui sur une commode, jetant sur nous un regard patriarcal. Détail qui tue: les lits accolés sont marqués des initiales de l'ancien propriétaire.
Après bientôt 3 heures sur place, il est temps de reprendre la route vers un nouveau spot. Juste le temps de réaliser la beauté du hall vu du haut de l'escalier et de s'en émerveiller. Un panorama qui nous avait échappé lors de notre passage en sens inverse et qui mérite que l'on s'y attarde, quitte à devoir ressortir le trépied!
Nous reprenons le même chemin pour sortir de la villa et remarquons alors la tour en pierre qui s'élève au beau milieu du jardin. Le temps presse mais nous décidons d'aller y jeter un oeil, après tout nous ne sommes ici qu'une seule fois.
Nous gravissons une échelle en bois instable à laquelle manquent des barreaux pour accéder à la partie supérieure de l'édifice. Nous nous retrouvons devant ce sublime escalier en colimaçon rouillé à côté duquel nous avions failli passer.
En reprenant notre chemin à travers les herbes hautes et les ronces, nous jetons un dernier regard à l'édifice endormi. Quitter un spot porte souvent un espoir tacite, celui d'y revenir un jour. Mais alors que nous enjambions le mur d'enceinte, nous étions loin de nous douter que quelques mois plus tard des travaux colossaux allaient commencer pour transformer la villa en complexe d'appartements. Si nous l'avions su, peut-être aurions-nous prolongé encore un peu ce moment d'exploration suspendu dans le temps.
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