Les lieux abandonnés sont parfois vus comme des endroits érotiques qui ouvrent la porte à tous les fantasmes. On ne compte d'ailleurs plus le nombre de fois où la question indiscrète nous a été posée. Une chose est sûre : ceux pour qui l’urbex a un effet aphrodisiaque n’ont jamais mis les pieds à l’Hôtel Miche-Mousse !
Mais commençons par le début... Nous sommes dans les derniers jours de notre road trip en Allemagne. La journée a déjà été riche de 3 spots et nous arrivons vers midi dans la petite ville où se trouve l’hôtel. Une aubaine : les habitants seront en train de manger et nous pourrons nous glisser en toute discrétion dans le bâtiment situé en bordure de route passante. Ça c’est le plan. En réalité, aucun des voisins ne semble avoir faim et tous se sont donnés rendez-vous dans la rue ; comme pour contrarier nos plans. Après 30 minutes d’allers et retours, à simuler de consulter les horaires de bus ou à refaire nos lacets pour la dixième fois, la voie est enfin libre et nous nous élançons, P. et nous, à l’arrière de l’immeuble.
La veille, nous avions visité l’Hôtel Atlantis où le masque FFP2 était de mise. Grâce à un contact bien informé, nous savions qu’il serait utile ici aussi. Une fois masqués, nous entrons donc par la fenêtre à la queue-leu-leu. À peine deux pas plus loin, une nausée nous saisit tous les trois. Malgré les masques, l’odeur est pestilentielle, à tel point que nous hésiterons un moment à aller plus loin, notamment parce que nous sommes incapables d’identifier l’origine de la puanteur (on envisagera d’abord un animal mort, puis des excréments, des produits chimiques, avant d’incriminer simplement la décrépitude du lieu dont les étages se transforment peu à peu en forêt).
Les dents serrées et la plupart du temps en apnée, nous entamons donc l’exploration de cet hôtel-restaurant qui connut de nombreuses affectations au cours de son histoire. À l’origine, l’endroit était connu comme la salle de fête et le gasthaus de cette petite ville thermale. On y organisait les événements culturels et réunions du village. Il devint ensuite l’hôtel des bains tout proches en conservant son nom d’origine célébrant l’amitié.
À noter la curieuse fresque de la salle de réception qui s’inspire du folklore slave et témoigne peut-être d’une autre étape dans l’histoire du lieu. Dans ses dernières années, en plus de demeurer un hôtel, il continua à vivre sous la forme d’un restaurant indien puis d’une pizzeria (qui proposait aussi des plats indiens et dont on peut donc supposer qu’il s’agissait toujours du même propriétaire). Sur le sol du rez-de-chaussée nous retrouverons d’ailleurs de nombreux menus sur lesquels les prix sont toujours indiqués en Deutsche Mark, nous apprenant ainsi que le bâtiment fut abandonné avant 2002.
Nul doute sur le fait que le lieu soit oublié depuis au moins 20 ans quand on constate l’état de l’étage ! Les chambres, toujours partiellement meublées se sont lentement transformées en sous-bois. Ici, poussent paisiblement des fougères, là, ce sont des tapis de mousse qui recouvrent désormais le sol, les tables et les chaises sur lesquelles, jadis, les hôtes s’installaient pour prendre leur petit-déjeuner. La vision est tellement surréaliste qu’elle nous fait presque oublier l’odeur.
Par endroit (et c’est notamment le cas dans cette chambre où on peut désormais littéralement dormir sur un lit de fougères), le sol donne l'impression d'avoir disparu. Pas de plancher, ni de béton, il semble que nos pieds foulent la limite spongieuse d’une tourbière. La chaussure s’enfonce un peu, rappelant que l’endroit est dangereux et qu’un faux-pas risque de nous faire passer au travers du plancher (car oui, il y a bien un plancher sous cette couche organique…). Nous redoublons donc de prudence et renonçons à avancer plus loin lorsque cela ne nous semble pas sécuritaire.
Réputée dès le début du XXe siècle pour ses sources, dont une très riche en radioactivité, bénéfique pour soigner certains maux, la ville thermale accueille toujours quelques curistes, bien que leur nombre ait chuté au fil des décennies, provoquant le déclin de bâtiments tels que celui-ci. Aujourd'hui, il ne reste que quelques vestiges de la "grande époque": un fauteuil en cuir qui semble avoir survécu à une bataille de polochons et un canapé fatigué qui tente tant bien que mal de sauver les apparences.
Puis, au hasard d’une porte que nous poussons, nous découvrons ce vestiaire que les employés de l’hôtel devaient jadis utiliser. Les murs et le plafond sont intégralement verdis alors que les casiers en métal sont eux gangrénés par la rouille. Le contraste des couleurs est saisissant. Une chaise rouge, encore intacte ressort à merveille sur ce décor que l’on croirait faux.
Subjugués, nous resterons de longues minutes à observer avant de nous mettre à photographier. Et dire que nous aurions pu passer à côté si nous n’avions pas poussé cette porte ! En urbex, la curiosité est souvent un excellent allié.
Au deuxième étage, le spectacle est identique, si ce n’est que la végétation est ici peut-être plus dense encore. Un couloir totalement vide est colonisé par les plantes qui se développent sur son sol. L’odeur est encore plus pestilentielle et il faut littéralement retenir sa respiration tout en essayant de cadrer correctement nos photos et de gérer le contre-jour de la fenêtre. De temps à autre, on entend l’un ou l’autre de notre trio qui s’exclame avec écœurement avant que le silence de la concentration ne reprenne ses droits. (un souvenir qui nous fait beaucoup rire aujourd'hui!)
À côté, une télé typique des années 1980 est abandonnée sur le sol. Sur son écran noir, plus aucune image ne s’affiche désormais. Juste la réflexion d’une colonie de fougères qui, tôt ou tard, finira par l’engloutir. Une nausée nous saisit alors que nous prenons cette photo et nous décidons de quitter l’étage et de redescendre explorer le rez.
En symétrie parfaite avec ce que nous avions fait au premier étage, nous poussons une porte fermée et nous retrouvons dans les WC. Tout comme les vestiaires situés juste au-dessus, la pièce est colonisée par une mousse verdâtre qui rampe sur les murs et semble presque couler en longues trainées visqueuses. La vue est répugnante, mais en même temps plutôt poétique en contraste avec la porcelaine blanche.
Après une bonne heure d’exploration, nous n’y tenons plus et décidons de nous arrêter là. Une fois sortis, nous nous libérons avec soulagement de nos masques FFP2 et recommençons à respirer normalement. Pourtant, il nous faudra plusieurs heures avant de nous défaire totalement de l’odeur qui s’est installée dans nos narines.
Malgré tout, nous repartons émerveillés de cet hôtel qui reste pour nous le lieu où la nature a le mieux su tracer son chemin pour ressurgir d’une façon improbable. L’inconfort de la visite, le dégoût, se transformeront en anecdote plutôt amusante dès le seuil franchi. Mais déjà, la route reprend en direction de l’ultime étape de la journée quelques heures plus tard : le superbe Rittergut V.
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